Peaux de banane à Split

Ils partent avant l’aube. Chaque véhicule suit une route différente.  Certains parcourent la longue plaine brumeuse du Po ; d’autres franchissent des cols frontières peu fréquentés des alpes autrichiennes ; tous se retrouvent, comme par hasard, dans le ventre d’un énorme traversier amarré à Ancône. Le capitaine et son équipage, soudoyés pour partir dès la nuit tombée, mettent le cap à l’est-sud-est vers une destination encore inconnue.

Embarquement nocturne dans la plus grande discrétion

La vie s’organise à bord. Sous prétexte de partage de pain et de jambon, se tient la première synthèse de l’acheminement (REDEX) de l’équipe, suivie des consignes de sécurité pour la nuit. Chacun s’installe à un emplacement différent, feignant la solitude. Mais Odeuxess veille sur tout le monde, relayé en milieu de nuit par Yoko. Leur vigilance assure le sommeil paisible des conspirateurs.

Un soleil d’automne émerge des flots enténébrés pour laisser découvrir la terre montagneuse proche, puis une ville blanche encore fortifiée, rehaussée de clochers fringants, enserrée à sa périphérie par des immeubles collectifs délabrés et sales. Sur les quais, des marins dévoués arriment le navire. L’étrave s’ouvre lentement, s’avachit sur la terre ferme et vomit un flot ininterrompu de véhicules au milieu desquels nous nous dissolvons. Les agents des douanes et de l’immigration jettent un regard nonchalant à nos vrais faux papiers officiels.

Nous voici au cœur de cette vieille cité dont l’architecture générale évoque un palais antique squatté, pourquoi pas celui de Dioclétien. Les habitants s’expriment dans une langue à la slavitude méridionale. Elle rappelle à certains une ancienne république qui s’est émancipée de toute universalité au prix de massacres divers et variés. Cette langue contraste avec les lieux et signes cultuels catholiques : Pauvre Dioclétien ! Mais c’est bien sûr, nous sommes en Croatie, et plus précisément à Split, ce que Madame Gaston finira par avouer.

S.p.l.i.t.

Les Turenge profitent d’un creux dans l’emploi du temps pour braquer un bureau de change dont ils vont ressortir les poches pleines de kunas, la monnaie locale. La caissière est neutralisée au gaz amnésiant puis ligotée à son bureau. Libérée après plusieurs heures, elle ne se souviendra de rien.

Michel et Iron lady s’amusent à leur jeu favori, le vol à l’étalage. Pendant qu’il accapare la vendeuse de ses œillades lubriques, elle remplit plusieurs sacs de victuailles locales, raisins, clémentines et pommes puis s’enfuit discrètement alors qu’il promet le mariage à sa conquête rougissante.

La pauvre mamie se défend comme elle peut…

Maggy et Croquignol abusent de la bonté d’une boulangère pour lui subtiliser une pile de bürecks et un pain frais alors qu’elle leur explique l’itinéraire d’accès au célèbre Split-Beau-Hard, haut lieu de la culture locale.

Les jambes et l’esprit ainsi dégourdis, la joyeuse bande, ragaillardie par les caresses d’un soleil automnal encore chaud, retrouve ses gardes du corps pour accomplir le travail de reconnaissance imposé par la direction des EMS-PC.

Espacés d’une cinquantaine de mètres, ils quittent la vieille ville, s’éparpillent dans une zone résidentielle aux jardins arborés porteurs de clémentines, de grenades et de citrons, à la suite de Croquignol qui, les yeux rivés sur son écran, observe une route virtuelle inscrite au millimètre près dans les nues par le ballet des satellites. L’atmosphère urbaine se dissipe dans un maquis méditerranéen à la végétation odoriférante qui offre sous un soleil encore brulant toutes les nuances de vert, piquetée çà et là de baies rouge vif comparables à des fraises. Plus loin, les croassements rauques d’un corbeau croate, puis quelques miasmes putrides révèlent la présence d’une immense décharge à ciel ouvert, entourée d’un grillage orné de sacs en plastique usagés qui claquent au vent. L’entrée est barrée d’une clôture mobile surveillée depuis une guérite par un cerbère patibulaire.

Très discrètement, Croquignol réalise les relevés topographiques demandés en haut lieu. Rahan, à l’aide d’un téléobjectif à grande ouverture, photographie la zone d’accès, la cabane du gardien et le levier de commande d’ouverture de la barrière. Odeuxess pilote son drone caché par un corbeau jusqu’au cœur du dispositif pour en filmer le centre stratégique. Iron lady et Michel Vaillant retiennent Yoko-Tsuno qui veut sans raison poignarder le gardien, alors que toutes les informations nécessaires ont été collectées sans violence aucune. C’est un problème classique dans ces opérations multidisciplinaires ! Chacun veut montrer son savoir-faire, au détriment de la stratégie globale de l’équipe. Elle sera convoquée le soir même dans le CLASSE par Maggy qui va lui signifier un blâme assorti d’une retenue de salaire de 35% pour insubordination.

Une fois la tâche effectuée, l’ambiance se détend et ils cheminent vers une crique hospitalière pour s’y baigner, manger les victuailles chapardées le matin, faire la sieste pour les plus avachis. D’une villa non loin de la plage fusent les rires joyeux d’un banquet annuel d’anciens combattants oustachis en l’honneur de la récente victoire des forces du bien sur l’alliance satanique des apatrides cosmopolites athées. Le drone habilement piloté va permettre d’immortaliser en mode digital cette beuverie guerrière.

Tout l’équipe craque pour la crique

Le charme est bientôt rompu par le survol à basse altitude d’un avion de chasse, alors qu’à l’horizon se découpe la silhouette d’un porte-avion battant pavillon chinois. Sur la piste d’accès au hameau, un épais nuage de poussière signale le lent cheminement d’une colonne de véhicules tous-terrains dont les occupants, bardés de cartouchières, brandissent en chantant des fusils mitrailleurs de fabrication française.

Il est temps de s’éclipser discrètement, décrètent Maggy et madame Gaston, après un court conciliabule. Les serviettes et les costumes de bain servent de camouflage à certains. D’autres courent de bosquet en bosquet, rampent parfois profitant du moindre relief pour se dissimuler aux regards scrutateurs. Le retour au port est rapide, compte tenu des événements.

Odeuxess, qui connait tous les trafiquants de la côte dalmate, repère un docker louche avec lequel il s’entretient en kosovar. Quelques minutes suffisent pour qu’il nous installe dans un hangar délabré à l’abri des yeux indiscrets. Après quelques échanges téléphoniques, arrive un capitaine sans âge à la casquette crasseuse, vêtu d’une vareuse défraichie dont l’une des poches laisse dépasser le goulot d’une bouteille de sjlivovica entamée. Son indifférence hautaine alcoolisée se dissipe quand Madame Gaston pose devant lui la cinquième liasse de billets de cent dollars.

Le marché conclu, cet ivrogne sans foi ni loi nous laisse accéder à son bateau par un ponton aux planches disjointes que les voitures font vibrer dangereusement. L’équipage de marins javanais besogneux assure une sortie rapide du port déjà encerclé par des jeeps remplies de guerriers menaçants aux fusils chargés. Sur le quai, une jeune femme endimanchée pleure toutes les larmes de son cœur. Michel n’est pas fier de lui mais invoque sa mission, son travail, sa patrie et autres calembredaines. Les embruns qui le giflent ne sont pas dupes de sa couardise. Le porte-avion chinois, bloqué par des hauts fonds dont son tirant d’eau interdit l’accès, s’estompe dans les brumes du soir, alors qu’apparait au nord de l’ile de Korcula le petit port de pêche de Vela Luka.

Navigation discrète au large de Vela Luka
Jacques
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4 réponses

  1. Message de l’agent R OSS 217 à Croquignol et son KCO : « Les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone … ». Sinon, content que vous êtes de retour, d’une mission si périlleuse, sain et saufs. Bravo Jacques d’avoir pu discrètement tenir le journal en terrain ennemi. Restez vigilants, et méfiez-vous toujours du costume traditionnel du Vorarlberg !

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