Peaux de banane à Split

Pour boire le calice jusqu’à la lie, nous irons en téléphérique sur la colline qui domine le port, et constaterons que les tuiles des maisons ravagées par les bombardements sont encore flambant-neuves, d’un rouge vif de lotissement préfabriqué. Cette journée se termine heureusement par un bon repas bien arrosé de bière et de vin local.

Le lendemain matin, le cœur serré, nous passerons non loin de Prapatno prendre le traversier pour Sobra, sur l’ile de Mljet. De là, nous irons à Pomena, laisserons les voitures et flânerons toute la journée dans le parc, au bord des lacs salés, à l’ombre des pins d’Alep. Une pénichette au marinier serein nous conduit à une centaine de mètres du rivage sur un ilot qui possède un monastère dont les premières fondations datent du douzième siècle. Nulle trace de Calypso pour les plus lubriques, mais nous savourons le plaisir gigogne d’être sur une ile dans un lac sur une ile dans la mer !

En allant dans l’île dans l’île

La soirée est comparable à la précédente. S’il fallait définir la joie par le nombre de bières consommées, nous serions dans la moyenne, sans mention.

Nous appréhendons la journée qui vient, sachant que les deux arrivants hauts gradés vont nous juger. Peut-être que quelques têtes vont tomber. Pourtant, toutes les précautions avaient été prises selon le niveau de sécurité requis.  Comme chacun sait, les erreurs de management sont souvent reprochées aux subalternes, même quand ils n’ont fait qu’obéir aux ordres. Pour se détendre avant d’affronter sa cheffe, Croquignol fait trois fois le tour du mur de Ston en courant, soit 15 km en 32minutes, 17 secondes et 5 centièmes, alors que les autres arrivent à Mali Ston en 45 minutes 11 secondes et 23 centièmes, tout en discutant de la meilleure version des faits à fournir à la hiérarchie.

Sur la muraille de Ston

La route jusqu’à Split est coupée par de belles frontières avec la Bosnie, associant fils de fer barbelés, douaniers en uniformes rutilants, cahutes blindées, contrôles électroniques et digitaux des identités à l’entrée comme à la sortie. Ça fait sérieux. Rahan filme discrètement le dispositif à l’aide de sa micro-camera. Nous arrivons inexorablement en ville.

Maggy reçoit au dernier moment le lieu du rendez-vous, le café Vidilica, en retrait du centre touristique, près du cimetière qui surplombe le port.

Peu d’entre nous connaissent Bridget autrement que de réputation. Son port de tête altier, sa silhouette svelte, son allure élégante et féline, ses yeux gris-bleu, mélange de douceur et de détermination implacable, sont célèbres au siège. Sa distinction naturelle, sa voix douce et ses cheveux grisonnants taillés courts sont caractéristiques d’une femme de pouvoir et d’autorité. Elle ne hausse jamais le ton, ni ne dissimule les quelques rides au coin des yeux qui trahissent le passage de la quarantaine, mais contrôle d’une main de fer bienveillante les faits et gestes de tous les salariés.

C’est l’heure du rapport pour Maggy dont les mains tremblent un peu. Bridget écoute, figée dans une expression neutre, hochant par moments la tête pour l’encourager à continuer quand son intonation trahit l’émotion. Madame Gaston poursuit, expliquant trop minutieusement certains détails logistiques sans importance. D’un revers de sa main aux ongles manucurés, la DRH lui signifie son agacement. L’oratrice retient difficilement ses larmes mais prend acte et nous épargne le prix du böreck, la température de l’eau des lacs salés et la fréquence de la moustache chez les marins croates. Croquignol résume à l’inverse en quelques mots son travail, sur un mode bâclé, que son auditrice déjoue en posant des questions pertinentes qui le font rougir jusqu’à la racine des cheveux. Michel décrit les étapes clés des itinéraires parcourus, répondant succinctement mais de façon précise si nécessaire. Les Turenge sont interrogés brièvement, d’un ton poli un peu hautain qui témoigne de leur place subalterne dans l’organigramme.

Vic Thorinox, Alcibiade des temps modernes est grand, beau, intelligent, sûr de lui et de ses capacités de séduction. Athlète accompli, ambitieux aux dents longues, il sait se rendre sympathique par son sourire désarmant et son regard de chien battu à faire pleurer un CRS. Son ascension rapide dans la hiérarchie serait le fruit d’un népotisme éhonté d’après certains. Pourtant, ses qualités techniques sont unanimement reconnues. Il a accompli seul des missions incertaines, comme l’infiltration de troupeaux ovins néozélandais et la création parmi leurs bergers du groupe francophile sécessionniste des « guerriers de l’arc en ciel ». Même si cette lutte indépendantiste visant à séparer les deux iles du pays ne connut pas le succès attendu, malgré le soutien militaire de la nouvelle Calédonie, elle eu le mérite d’exister et de déstabiliser l’hégémonie anglophone de la région. On le retrouve plus tard dans des multinationales de la distribution, négociant des stocks de matériel d’approche en milieu hostile.

Il prend en charge l’équipe opérationnelle de Yoko-tsuno, Rahan et Odeuxess-Endissaite. Saluant leurs compétences, leur dévouement, leur réactivité, Il évite de les braquer mais rappelle la nécessité du travail d’équipe et de l’obéissance à la direction tactique.

Bridget embarque dans le camping-car des Turenge, de façon à ne pas créer de jalousies entre l’équipe du CLASSE et celle du TIC. Une flânerie de quelques heures dans les rues de Šibenik détend agréablement l’atmosphère et les esprits après l’épreuve du matin.

Cathédrale Saint-Jacques de Šibenik

Nous partons pour le parc national de Krka que nous parcourons jusqu’aux chutes de Skradinski buk. La beauté du site achève de nous rasséréner. La fraicheur irisée des cascades disséminées dans une verdure luxuriante, les bans de truites musardant au fond des bassins d’eau claire, les pins majestueux peu avares des ombrages qu’ils procurent, tout concourt à illustrer un paradis terrestre d’où l’on s’attend à voir renaître une Venus de Botticelli. La journée se termine dans un terrain de camping sympathique, à la demande de la DRH elle-même, parangon de frugalité. Michel prépare une platée de pâtes al dente dont nous nous régalons. Veillés par Vic lui-même, nous passons une nuit sans histoire.

Skradinski buk
Jacques
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4 réponses

  1. Message de l’agent R OSS 217 à Croquignol et son KCO : « Les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone … ». Sinon, content que vous êtes de retour, d’une mission si périlleuse, sain et saufs. Bravo Jacques d’avoir pu discrètement tenir le journal en terrain ennemi. Restez vigilants, et méfiez-vous toujours du costume traditionnel du Vorarlberg !

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