Le tour des fondants au chocolat

RAID A SKIS AUTOUR DE LA MEIJE - Mai 2013

Le principe d’un raid à skis est de réaliser un « voyage » skis aux pieds, de refuge en refuge, en restant le plus possible dans le « monde d’en haut ». Contrairement au ski de randonnée à la journée où chaque soir on retrouve son gîte ou son hôtel, la douche, ses petites affaires, etc… dans un raid au contraire on chemine d’un refuge à l’autre en portant toutes ses petites affaires c’est à dire la moitié de ce qu’on aurait souhaité emporter et le double de ce qu’on arrive à porter raisonnablement.

En route pour 4 jours de voyage
En route pour 4 jours de voyage

Il y a généralement un objectif principal dans un raid, celui-ci peut être une traversée d’un col à un autre, ou d’une ville à une autre, ou bien l’ascension d’un ou plusieurs sommets mythiques. Pour nous, cette année, le but était de réaliser le Tour de la Meije. On pourrait se dire que faire le tour d’une montagne ne doit pas être bien compliqué, le Tour du Mont Blanc par exemple est d’une difficulté bien moindre que l’ascension du Mont Blanc car pour cette dernière il est nécessaire de réserver sa nuit au refuge du Goûter et ça même les meilleurs s’y sont parfois cassé les dents.

Face sud de la Meije
Face sud de la Meije

En fait le Tour de la Meije est un « raid technique, physique, engagé qui nécessite une météo impeccable« . Voilà comment nous avions présenté la chose aux randonneurs d’Oxygène, espérant ainsi faire peur à tout le monde afin de ne susciter aucune inscription et passer le pont de l’Ascension-8 Mai à faire la grasse matinée, tondre la pelouse et boire des bières autour de barbecues plein de chippos.

Accroche toi au piolet, j'enlève l'échelle !
Accroche toi au piolet, j’enlève l’échelle !

C’était sans compter avec la soif d’aventure, ou l’inconscience, à moins que ce ne soit l’aversion pour les chippos de nos randonneurs puisque c’est un grand groupe de 9 personnes qui, ce mercredi matin du mois de Mai, essayait de faire rentrer dans des sacs à dos trop petits tout un tas d’affaires indispensables.

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Généralement le premier jour d’un raid est assez cool afin de se mettre doucement dans l’ambiance, c’est dans cette optique qu’avait été choisi l’objectif du jour : la brèche Gaspard. Le topo annonçait : « 1500 m. de dénivelé, un final raide à 45/50° surmonté par une corniche parfois infranchissable » ce qui semblait parfait pour une mise en jambe…

Après un départ pas aussi matinal qu’il aurait été souhaitable (un premier « faux levé » à 3h, un autre à 4h, une jonction difficile vers 5h avec le seul du groupe qui ait un « vrai » travail), on arrive enfin en vue de la dite brèche qui, en plus des attributs annoncés dans le topo, s’avérait totalement ruinée par des passages répétés d’avalanches. C’est donc vers un autre objectif que le groupe des 9 s’est précipité : le col des Agneaux, à peine 100 m. plus haut mais aux pentes plus accueillantes.

On va changer d'objectif ... (la brèche Gaspard est en haut à droite sur la photo)
On va changer d’objectif … (la brèche Gaspard est en haut à droite sur la photo)

Une caractéristique du « métier » de skieur de raid ce sont ses horaires de travail. Au printemps la neige chauffe vite, devenant très vite inskiable avec une forte propension à l’avalanche de neige mouillée qui est aux avalanches ce que le bulldozer est à la bêche de jardin. Il faut donc partir tôt, très tôt, afin d’être arrivé au refuge en fin de matinée, midi étant l’idéal car c’est une heure raisonnable pour s’assoir sans complexe autour d’une bonne bière, et un refuge sans bière ça n’existe pas…

Skieurs noctambules
Skieurs noctambules

Le reste de la journée se passe entre sieste, préparation de la course du lendemain, discussion sur l’état de ses ampoules, lecture d’exemplaires de VSD vieux de plus de cinq ans, voire chasse à la marmotte pour les plus aventureux.

Fumoir à peaux
Fumoir à peaux

Puis vient enfin le moment crucial de la journée, celui où tout peut basculer dans le sublime ou bien l’horreur voire le quelconque : le repas du soir. C’est de lui que va dépendre l’état mental et physiologique dans lequel on va passer la courte nuit qui suit. Il fut un temps pas si lointain où les gardiens de refuge n’hésitaient pas à servir à leurs hôtes un « bourguignon purée » des plus indigestes ou un « ragoût riz collant » dont ils se passaient la recette d’un refuge à l’autre afin que l’alternance entre les deux plats soit parfaite lors d’un raid de plusieurs jours. De quoi devenir végétarien…

Mais les choses ont bien changé et ce soir au refuge de l’Alpe de Villar d’Arêne c’est un délicieux repas d’inspiration népalaise qui nous est proposé et c’est tant mieux car demain c’est pas loin de 1800 m. de dénivelé qui nous attendent ainsi que … la pluie.

Ce qui il y a de bien quand on part très tôt, lorsqu’il fait encore nuit c’est qu’on ne voit pas bien le temps qu’il fait et quand il est exécrable c’est mieux. Lorsque le jour se lève et qu’on se trouve encore sur l’interminable glacier qui monte vers le refuge Adèle Planchard, on prend la mesure de ce que signifie réellement « ciel couvert entrecoupé d’averses » accompagné d’un « très mauvais regel » ce qui signifie qu’à chaque pas le ski s’enfonce dans une substance qui n’est pas sans rappeler la purée du bourguignon des refuges d’antan.

Les coulées descendent ... nous, on monte
Les coulées descendent … nous, on monte

Mais aujourd’hui c’est Jeff qui mène le groupe et personne ne moufte et c’est en un temps record -pour nous- qu’on frappe à la porte du refuge d’Adèle Planchard juste à temps pour reprendre un second petit dej car il n’est même pas 10 h. Mais il reste encore à rendre visite à la Grande Ruine qui se trouve encore 600 m. plus haut et là les volontaires se font rares, c’est donc un tout petit groupe qui repart sous la neige cette fois, vers ce beau sommet où la vue est si splendide … enfin quand il fait beau.

Arrivée au sommet de la Grande Ruine
Arrivée au sommet de la Grande Ruine

Pour se consoler nous commettons un petit holdup au passage : la descente à skis depuis le sommet, la mauvaise visibilité nous empêchant d’avoir le vertige sur l’arête sommitale. Ensuite, retour à Mach II vers le refuge car on va bientôt manger …

Descente de la Grande Ruine
Descente de la Grande Ruine

Parmi les collaborateurs du Gault et Millau, il ne doit pas y avoir beaucoup de skieurs de randonnée car à coup sûr le refuge Adèle Planchard aurait au moins 2 ou 3 étoiles. En effet, lorsqu’on déguste le gratin aux épinards de Nicolas et qu’on enchaine sur le fondant aux chocolat crème anglaise de Noëmie on se demande si on ne va pas venir ici tous les week-ends !

Ce matin il neige, il y a du vent, pas de bol car l’étape est longue et accidentée jusqu’au refuge du Promontoire. Au moment de partir, un coup de téléphone de Frédi, gardien du Promontoire nous plombe encore un peu plus le moral : « Il a plu très haut et ça purge de partout, faites gaffe »

Départ peu engageant
Départ peu engageant …

Pour une fois notre groupe de 9 est le premier à être prêt, comme c’est bizarre … Je me retrouve donc à faire la trace en pleine nuit, sous la neige qui tombe, dans une couche de fausse poudreuse que je ne sens pas trop, mais, elle, me sent-elle ? Est ce que si on retourne au refuge on pourra finir les restes de fondant au chocolat ?

C'est parti pour une longue traversée ...
C’est parti pour une longue traversée …

L’arrivée du jour et des autres skieurs font vite oublier la gastronomie d’Adèle Planchard pour ne plus penser qu’à celle du Promontoire, il parait qu’on y mange parfois des côtelettes d’agneaux, hum …. Go, go, go !

La brèche de Casse Déserte
La brèche de Casse Déserte

Un col, une brèche (et quelle brèche !), un glacier, des pentes ruinées par les avalanches, une neige sans aucune consistance mais paradoxalement assez agréable à skier (enfin, les avis sont partagés …), un vallon interminable à remonter sous une chaleur tropicale et c’est enfin 7 h. plus tard l’arrivée sur la terrasse du Promontoire.

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Au Promontoire, on n’est plus tout à fait sur terre. Tout d’abord parce que le refuge est dans le ciel, partout où le regard se tourne c’est le vide. Je n’ai pas encore compris comment ce refuge tenait sur ce morceau d’arête. D’autre part, tout le monde est cool -enfin c’était comme ça le jour ou nous y étions-, à commencer par les « gardiens ». Mais quel horrible mot que celui de « gardiens » pour ces deux là, Nath et Frédi. Ils ne « gardent » pas, ils donnent, sur leur site d’abord où chaque jour ils font partager ce qu’ils vivent, ce qu’ils voient ainsi que des infos très précieuses pour nous qui habitons si loin des montagnes. Et puis une fois sur place on se sent bien tout de suite, on a l’impression d’être en visite chez des copains. Un refuge où on vous sert l’apéro en même temps que la météo, vous en connaissez beaucoup ? D’autre part on y mange très bien et le fondant au chocolat (encore !) donnerait envie de rester bloquer ici quelques jours. Bon c’est pas tout ça mais demain c’est l’étape clé du raid, la traversée vers le refuge de l’Aigle et la fameuse descente du glacier de l’Homme.

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Ce matin c’est grand beau et la trentaine de « passagers » du refuge presse un peu Frédi qui a loupé le réveil, un des derniers de la saison, on ne peut lui en vouloir… Ensuite toute le monde s’équipe, en même temps, dans un volume pas plus grand que celui d’un pavillon de banlieue même si la vue n’est pas tout à fait la même …

Mais j’ai oublié de parler des toilettes, ou plutôt du toilette … enfin du trou qui donne dans le vide et qu’on atteint périlleusement au bout d’un cheminement court mais incertain surtout avec des croc’s aux pieds. En montagne, le danger n’est jamais là où on l’attend …

Oui, c'est la !
Oui, c’est la !

En parlant de danger, un des « passagers » en partance pour le Tour de la Meije vient de se ramasser 50 mètres en dessous du refuge. Est ce parce qu’il n’avait pas écouté le briefing de Frédi la veille, qui conseillait de partir crampons aux pieds, ou bien est ce parce qu’il avait râlé toute la nuit après les inévitables ronfleurs du dortoir -je le sais car malheureusement c’était mon voisin …

C'est parti pour la brèche de la Meije
C’est parti pour la brèche de la Meije

Bon c’est pas tout ça mais on a de la route … Ca commence par la remontée de la brèche de la Meije qui permet de changer de monde, on passe alors en face Nord, et pas n’importe laquelle, celle de la Meije ! Là tout devient impressionnant surtout quand comme aujourd’hui on fait suite à plusieurs jours d’énormes purges et en plus la neige est très dure.

On bascule du côté obscur ...
On bascule du côté obscur …

On commence par descendre, c’est raide. En voulant faire le malin je me met une boîte magistrale juste au dessus d’une énorme crevasse, il est grand temps que la saison se termine … Ensuite on met les peaux pour contourner une zone de séracs et de crevasses, c’est raide, c’est dur, faut pas se louper dans les conversions car sinon on pourrait se retrouver 1000 m. plus bas au fond des célèbres vallons de la Meije. Ensuite on redescend, c’est toujours aussi raide et aussi dur. On est dans l’ombre. En face, tout en bas, on voit le soleil qui écrase déjà les gazons du plateau d’Emparis mais ici on se caille. On est une trentaine sur ce balcon mais on se sent bien seuls et écrasés par cette muraille de la face nord qui nous domine et qui a craché les jours derniers d’énormes avalanches. Tout doux la Meije, on ne fait que passer…

Le soleil n'est pas pour nous
Le soleil n’est pas pour nous

Il faut sortir de là. La sortie porte le doux nom de Serret du Savon, un couloir incliné à 45° qui permet de sortir par le haut. Le piolet sert enfin pour de bon, les crampons cramponnent, les mollets chauffent.

Le Serret du Savon
Le Serret du Savon

Et puis c’est de nouveau la chaleur du soleil, une pente débonnaire, mais dans un décor très haute montagne, pour rejoindre le refuge de l’Aigle qui porte si bien son nom. On serait bien tenté de prolonger le voyage en restant une nuit dans cette cabane en bois chargée d’histoire mais le mauvais temps est annoncé pour le lendemain, il est donc plus raisonnable de descendre.

En haut de l'Homme
En haut de l’Homme

D’autant qu’il ne s’agit pas de n’importe quelle descente, mais celle du glacier de l’Homme. Quand on connait un peu le coin en été, cela n’a rien de rassurant. L’Homme c’est un toboggan de glace de 4 km de long qui part de la Meije orientale pour aller se coincer dans la gorge qui vient mourir dans la Romanche 2000 mètres plus bas.

Vite ! Cela chauffe !
Vite ! Cela chauffe !

Cette année, vu l’hiver neigeux qu’on a connu, il est plutôt en bonne condition, les crevasses sont bien bouchées parait-il mais, c’est bête pour nous, il est un peu tard. Dès les premiers virages le ton est donné, c’est pâteux et nous sommes encore à 3400 m. d’altitude. Effectivement plus on descend et plus c’est tendu, le moindre virage décroche des coulées qui prennent de l’importance mais heureusement sans vitesse. Plus bas les ponts de neige sont assez inconsistants, il faut se faire léger. Mais la descente dans cet immense cirque glaciaire surmonté d’immenses parois rocheuses a quelque chose d’himalayen, la Vallée Blanche en comparaison semblerait presque fade, c’est dire !

Pas si pire cette neige ?
Pas si pire cette neige ?

Le final est plus tranquille, le glacier fait place aux névés et anciennes coulées d’avalanches qui permettent un ski facile et ludique jusqu’à 30 m. de la Romanche, inespéré à cette saison ! Mais il reste encore à la traverser cette Romanche et avant Grenoble si possible. Après quelques tentatives vouées par avance au bain forcé on finira par remonter vers l’amont pour trouver une coulée d’avalanche providentielle qui a eu la bonne idée de recouvrir le torrent. Jusqu’au bout ce raid nous en aura fait voir. Par contre je n’arrive pas à savoir quel fondant au chocolat j’ai préféré…

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Voir aussi :
Le topo du raid sur Camp to Camp

– Un petit montage vidéo sur ce raid
– La carte du raid :


Tour de la meije (la carte) par oxygene-ski

Thierry
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