Le Tour du Mont Blanc aux herbes de Provence

Nos jeunes partis faire un Tour du Mont Blanc à la fin de l’été avaient ravivé dans ma tête le souvenir d’un TMB entrepris durant les vacances de la Toussaint de 1989, une époque lointaine où on parlait encore peu de glaciers qui fondent, de climat qui se dérègle, de distanciation, de gestes barrières et autres modernités. Mon souvenir lointain de ce TMB avait la couleur des aiguilles de mélèze, de la neige fraiche et surtout de parfum de la solitude car, de mémoire, nous n’avions pas croisé grand monde.

Le TMB au siècle dernier

On se retrouve donc à 6 (protocole anti-covid oblige) au départ de la gare des Houches par un beau matin de fin octobre, un gros sac à dos sur les épaules. Même si l’étape du jour n’est pas bien longue, l’interdiction de s’embrasser et de se serrer la main nous fait gagner un temps précieux, les journées sont courtes en automne. Le ciel est bleu au dessus du Mont Blanc, le soleil chauffe nos carcasses, quel bien ça fait de partir pour une bonne semaine dans un décor aussi majestueux.

Départ des Houches

L’objectif du jour est de rejoindre le village des Contamines Montjoie via le col de Voza, une petite journée de mise en jambe qui ne pose aucun problème car on frôle à peine les 1700m. d’altitude et, même s’il a pas mal neigé fin septembre, la neige n’a pas tenu aussi bas. On croise encore un peu de monde sur les sentiers.

Aux Contamines, nous sommes accueilli très chaleureusement à l’Hôtel de la Gelinotte, un des rares hébergements (qu’on recommande !) encore ouvert dans la vallée à cette époque de l’année. Nous sommes d’ailleurs les derniers clients de la saison.

Dans la nuit, comme prévu, la météo a complétement changé et au petit matin c’est pluie et neige fondue au programme, ça devrait être comme ça toute la journée même si le bulletin annonce une amélioration pour la fin d’après-midi. Marcher sous la neige, c’est mieux que sous la pluie.

C’est parti pour une journée compliquée

Plus on prend de l’altitude, plus la couche de neige s’épaissit et l’amélioration prévue pour la fin de l’après midi se fait attendre. L’objectif d’aujourd’hui est d’atteindre le refuge de la Croix du Bonhomme qui, à cette époque n’est plus gardé mais dispose d’un local d’hiver sur lequel nous avons assez peu d’infos…

Il manque les skis !

Arrivé au col du Bonhomme, on pousse la porte d’un petit abris et là, à notre grand surprise l’abri qui fait en gros 2m. sur 2m. est occupé par un couple qui n’a pas osé aller jusqu’au refuge encore éloigné de près de 2 kilomètres. Ils s’apprêtent à passer une très mauvaise nuit…

Du col du Bonhomme au refuge de la Croix du Bonhomme, en temps normal c’est l’affaire de 3/4 heure, on mettra pas loin de 2 heures. Il n’y absolument aucune trace du chemin à part quelques jalons de temps en temps. La couche de neige est impressionnante, on s’enfonce parfois jusqu’au ventre. La nuit est en train de tomber, il neige toujours, le vent s’est levé, on doit absolument trouver le refuge.

Le GPS a fait le job et on arrive en vue du refuge au moment où il commence à faire nuit. On clanche (ben oui, on est lorrain) une porte qui semble être celle du local d’hiver : fermée. Arrgh !

Heureusement on trouve une autre porte qui, elle, est ouverte et là c’est instantanément le bonheur : il y a un gros poêle à bois au milieu de la pièce et du bois à profusion dans la remise. On va pouvoir passer une bonne nuit, au chaud ! Avec la couche de neige, le groupe s’est un peu étalé et il faut, avec la frontale, aller chercher les retardataires, pendant que Claude prépare les pâtes ce qui s’avérera être une très mauvaise idée. Les coquillettes aux herbes de Provence, c’est…comment dire : spécial.

A notre grande surprise, plus tard dans la soirée, on verra arriver un randonneur, transi, épuisé, en basket, sans sac à dos, car il l’a abandonné un peu plus bas. Il est parti à pieds de Bourg Saint Maurice. En cherchant bien, on trouve toujours plus fou que soi.

départ du refuge de la Croix du Bonhomme

Le lendemain matin, il neige toujours. Vu les grosses accumulations de neige, on fait une croix (..du Bonhomme 😉 sur le passage prévu par le Col des Fours, trop pénible et potentiellement dangereux. Donc direction les Chapieux, on bascule en Savoie !

Et les skis alors ?

Pour notre plus grand bonheur, les nuages se dissipent (c’était prévu !) et on en prend plein les yeux, au propre comme au figuré. La neige poudreuse rend la descente agréable même si on regrette quand même de ne pas être à skis.

On est fin octobre, vraiment ?

Le détour par les Chapieux nous rallonge la journée d’une bonne heure mais le beau temps semble s’installer donc tout va bien même si l’étape du jour est un autre refuge non gardé, en Italie cette fois, le refuge Elisabetta Soldini.

Col de la Seigne (côté soleil)

Le col de la Seigne, frontière entre la France et l’Italie, à 2500m. d’altitude est franchi sous le soleil de la fin d’après midi dans une neige profonde mais par une température agréable.

Col de la Seigne (côté ombre)

Le froid nous attend au col et ne nous quittera pas de toute la descente. Les quantités de neige sont impressionnantes pour la saison. Dans son Manuel du voyageur en Suisse, Johann Gottfried Ebel écrit en 1818 que « Ce chemin est le plus court pour aller de Genève à Turin, mais il n’est praticable qu’au cœur de l’été et par un fort beau temps« . La sagesse même ce Johann…

On arrive en vue du refuge à la tombée de la nuit, ça devient une habitude. On clanche (ben oui..) toutes les portes, aucune ne s’ouvre. Pourtant, il y a une dizaine de jours, un échange par mail avec le gardien, confirmait l’ouverture du local d’hiver. Il faut chercher encore, il doit bien y avoir une autre porte, sinon on est condamné à marcher une bonne partie de la nuit jusque Courmayeur.

On fini par trouver la seule porte non fermée à clé et on découvre l’endroit où on va passer la nuit. Le commentaire sur le site CampToCamp annonçait la couleur : « 1 table, 2 bancs, pas de vaisselle, pas de chauffage et il y fait très froid. » Et bien, c’est exactement ça !

Après avoir envoyé Claude chercher de l’eau le plus loin possible afin de l’empêcher de cuisiner, on teste une nouvelle recette : semoule, knack, Comté. Un régal ! Il a juste fallu empêcher Joëlle d’y ajouter de la « saucisse à tartiner »…

Engageant, n’est ce pas ?

Contre toute attente, la nuit ne fut pas si froide mais au lever du jour la météo est franchement désastreuse : pluie et vent ! Ce n’est pas du tout ce qui était annoncé, remboursez ! Dans nos têtes, des plans B s’échafaudent : se trouver un hôtel à Courmayeur, une douzaine de kilomètres plus bas, rejoindre le tunnel du Mont Blanc et rentrer à la maison. De toutes façons, il faut partir d’ici…

A proximité du Lac Combal

Finalement le temps s’arrange et l’espoir de continuer ce Tour du Mont Blanc revient petit à petit, d’autant que le passage à proximité de Courmayeur nous fait rêver d’une bonne pizza accompagnée d’une bière.

A l’entrée du petit village d’Entrêves, notre rêve devient réalité : pizza, bière ! C’est bien fringant que nous repartons pour notre troisième nuit en refuge non gardé au bout du Val Ferret italien.

Vu sur la Noire de Peuterey et le Mont Blanc depuis le Val Ferret

Le temps s’est bien dégagé, l’étape est longue mais à cette altitude point de neige, on arrive donc au refuge Bonatti…à la tombée de la nuit.

Le local d’hiver est très confortable, bien isolé, il y a même de l’électricité. Ce soir c’est encore semoule mais avec des sardines cette fois, ce Tour du Mont Blanc prend vraiment une tournure gastronomique.

Non ! ce n’est pas le refuge Bonatti après notre passage…

Le lendemain, le temps est incertain mais normalement l’étape s’annonce assez facile même si il est quand même prévu de franchir le Grand Col Ferret à 2530m., point culminant de notre Tour du Mont Blanc.

Les mélèzes du Val Ferret !

Au pied du col, on rencontre un letton un peu étrange, avec un gros sac à dos et des baskets (décidément c’est une mode par ici) qui nous dit vouloir aller jusqu’en Inde et nous demande quel est le chemin le plus court pour aller en Suisse. On le renseigne du mieux qu’on peut mais pour la portion de Martigny à Bombay , c’est vrai qu’on a du mal d’être précis car c’est une rando qu’on fait assez rarement.

Vers le Grand Col Ferret

La montée au col est splendide mais au fur et à mesure qu’on prend de l’altitude la couche de neige s’épaissit et plus embêtant le temps se couvre. L’arrivée au col se fait aux instruments et la descente est bien compliquée : on ne voit pas à 3 mètres et on s’enfonce parfois jusqu’à la taille.

Ca s’arrange !

Heureusement, à mesure qu’on perd de l’altitude la couche de neige s’amincit et surtout on revoit clair. Il reste encore à rejoindre le village de La Fouly, en Suisse où nous attend normalement un hôtel bien douillet.

Comme à notre habitude on arrive à la tombée de la nuit à la nuit noire. Nous sommes les seuls clients du Grand Hôtel, une énorme bâtisse construite au début du 20ème siècle pour le tourisme anglais et nordique. Nous sommes, là aussi, les derniers clients de la saison et, est ce pour cette raison ou pas, on est véritablement choyé par les gérants.

Aiguilles Dorées et Portalet vu depuis Praz de Fort

Le lendemain, c’est grand beau temps, et c’est tant mieux car l’étape est longue, près de 30 kilomètres avec pas mal de dénivelé et des paysages somptueux.

Le Val Ferret avec tout au fond le Grand Col Ferret

Cette fois, on en a bien fini avec les franchissements de col enneigés, cette partie du tour du Mont Blanc s’effectue plutôt en moyenne montagne dans des vallées habitées. Champex et son lac sont même animés, il faut dire que c’est le début du week-end de la Toussaint.

Le lac de Champex

La longue remontée des alpages de Bovine se fait à la nuit tombée, mais ce n’est pas grave, ce soir encore, on fait dans le luxe avec une nuit à l’Hôtel de la Forclaz. On espérait d’ailleurs une fondue, et on l’a eu !

Col de Balme

Il nous faut maintenant regagner la France, sans grand enthousiasme, car le confinement généralisé est de nouveau d’actualité. Alors que, côté suisse, les randonneurs profitent de l’air pur et de l’exercice physique pour stimuler leurs défenses immunitaires, on passe la frontière discrétos et on découvre une vallée de Chamonix silencieuse comme jamais. Pas un avion, ni un hélico dans le ciel, pas une moto qui pétarade, pas une remontée mécanique qui fonctionne, le silence et la montagne rien que pour nous.

Vallée de Chamonix depuis le col de Balme

Notre arrivée (discrète) à Argentière marque la fin de ce superbe Tour du Mont Blanc. Enfin presque, puisqu’il faudra, demain matin, raccompagner Claude, notre spécialiste en fines herbes, à sa voiture, à la gare des Houches.

Finesse et légèreté de la statue du Christ Roi au dessus des Houches

Ce Tour du Mont Blanc en quelques chiffres : 160 km, 8 000 m. de dénivelé montant, autant en descente ce qui est normal, 67 heures de marche, 2 kilos de pâtes, 2 kilos de semoules, 3 boîtes de sardines, 8 knacks, un morceau de Comté et un sachet d’herbes de Provence…

Thierry
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